Résumés de cas
Le Régime de pensions du Canada n’est pas une police d’assurance
janvier 29, 2017 - Gabriel Poliquin

Dans un jugement unanime qu’elle vient de rendre, Sabean c. Portage La Prairie Mutual Insurance Co., 2017 CSC 7, la Cour suprême du Canada a statué que les prestations du Régime de pensions du Canada (« RPC ») ne sont pas déductibles d’une indemnité payable en vertu d’une police d’assurance comme le seraient, par exemple, les prestations payables en vertu d’une police d’assurance privée secondaire.
L’appelant, Andrew Sabean, blessé dans un accident d’automobile, s’est vu accordé 465 000 $ à titre de dommages-intérêts pour blessures au terme d’un procès par jury. M. Sabean a reçu 382 000 $ de l’assureur de l’auteur du délit, laissant un manque à gagner de 83 000 $. M. Sabean était bénéficiaire de l’avenant SEF 44 utilisé en Nouvelle-Écosse. Le SEF 44 est, à toutes fins pratiques, une police d’assurance additionnelle qui permet au bénéficiaire de recouvrer toute somme manquante pour acquitter un jugement contre un l’auteur d’un délit qui est sous-assuré. L’avenant vise la pleine indemnisation de son bénéficiaire tout en évitant les doubles indemnités. À cette fin, l’avenant typiquement en vigueur dans toutes les provinces du Canada énumère une série de prestations, qui, si elles sont touchées par le bénéficiaire (actuellement ou éventuellement), doivent être déduites de l’indemnité additionnelle versée aux termes de l’avenant. Par exemple, seront déduites de l’indemnité additionnelle les prestations perçues en vertu d’un régime d’indemnisation des accidents du travail.
La question devant la Cour était à savoir si les prestations du RPC étaient déductibles de l’indemnité additionnelle versable en vertu de l’avenant SEF 44. En se prononçant sur cette question, la Cour suprême du Canada met fin à un flottement jurisprudentiel sur cette question, lequel est bien résumé dans cet article des Avocats gestionnaires de risque du Canada. Dans le dossier Sabean, la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse avait jugé que les prestations futures du RPC étaient déductibles aux termes de l’avenant (2015 NSCA 53). A contrario, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick était de l’avis contraire, à savoir que ces prestations n’étaient pas déductibles car elles n’étaient pas précisément énumérées dans l’avenant en vigueur dans cette province. Dans Sabean, la Cour suprême a favorisé l’approche préconisée par la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick dans l’affaire Economical, Compagnie Mutuelle d’Assurance c. Lapalme, 2010 NBCA 87.
Pour en arriver à sa conclusion, la Cour suprême du Canada, sous la plume l’honorable juge Karakatsanis réitère les principes d’interprétation des polices d’assurance confirmé dans l’arrêt Ledcor (2016 CSC 37), à savoir que : Le principe prépondérant, lorsque le texte d’une clause n’est pas ambigu, est de lui donner son plein effet; Lorsqu’une clause est ambiguë, d’élucider son sens au moyen des règles générales d’interprétation des contrats; Si les règles générales d’interprétation des contrats ne permettent pas d’élucider l’ambigüité, d’interpréter la disposition ambiguë contra proferentem : les dispositions relatives à la garantie seront interprétées de façon large alors que les clauses d’exclusion seront interprétées étroitement. Le SEF 44 énumère donc une série de prestations déductibles de l’indemnité additionnelle qu’elle est censée conférer, dont celle-ci à l’alinéa 4 b)(vii), qui était la clause en litige en l’espèce : [Traduction] Le montant payable en application du présent avenant à tout demandeur admissible est complémentaire au montant effectivement recouvré par ce dernier de toute source (sauf les sommes payables au décès en vertu d’une police d’assurance) et à tout montant que le demandeur admissible a le droit de recouvrer (qu’il fasse valoir ce droit ou non) : . . . (vii) de toute police d’assurance stipulant une indemnité d’invalidité ou de réadaptation, ou une indemnité pour manque à gagner ou frais médicaux. La question devant la Cour était à savoir si le RPC était, aux fins de l’avenant, une « police d’assurance stipulant une indemnité d’invalidité ». La Cour a jugé que non. Appliquant la première étape du cadre d’analyse Ledcor, « les mots utilisés doivent être interprétés selon leur ens ordinaire, ‘de la manière dont ils seraient compris par la personne ordinaire qui fait une demande d’assurance et non de la manière dont ils pourraient être perçus par des personnes versés dans les subtilités du droit des assurances’ », citant l’arrêt Gibbens ([2009] 3 R.C.S. 605, par. 21). Le sens ordinaire du terme « police d’assurance » se réfère à un contrat d’assurance privé facultatif qui prévoit une protection garantie en contrepartie de primes d’assurance. Le terme « police d’assurance », dans son sens ordinaire, ne se réfère pas à un régime de contributions obligatoires prévus par une loi fédérale, comme l’est le RPC. La juge Karakatsanis insiste sur le principe que les mots employés dans une police d’assurance doivent pouvoir être interprétés par une « personne ordinaire qui présente une demande » en vue d’obtenir la garantie pour laquelle elle a payé. La juge Karakatsanis met en garde les assureurs : Si le sens des mots de la police est clair, comme en l’espèce, les assureurs doivent leur donner effet : « Un assureur ne peut se fonder sur sa connaissance spécialisée de la jurisprudence pour proposer une interprétation qui va au-delà du libellé clair de la police ». Devant la Cour, l’assureur faisait valoir que l’arrêt Gill ([1973] R.C.S 654) de la Cour suprême du Canada avait conclu que les futures prestations d’invalidité du RPC devaient être considérées comme des prestations d’invalidité recouvrables aux termes d’une police d’assurance. Tel avait été le raisonnement de la Cour d’appel de Nouvelle-Écosse. Dans l’arrêt Gill, la Cour suprême du Canada était d’avis que les prestations au titre du RPC « présentent un caractère tellement semblable aux contrats d’assurance ordinaires » que celles-ci ne devraient pas être déduites dans le calcul des dommages-intérêts attribués suite à un recours en vertu du Families’ Compensation Act de Colombie-Britannique. Cette loi prévoyait que [Traduction] « [d]ans l’appréciation des dommages, il ne faut tenir compte d’aucune somme versée ou devant être versée au décès du défunt en vertu d’un contrat d’assurance ». Étant donné leur caractère « semblable » à une police d’assurance, les prestations du RPC devaient être, selon la Cour, assimilées à des prestations parallèles, lesquelles ne devraient pas être déduites du calcul de dommages-intérêts, même s’il en résulte une double indemnisation. En common law, la règle des prestations parallèles fait exception à la règle de la double indemnisation en tenant compte « du fait qu’il serait injuste de permettre à l’auteur d’un délit de bénéficier de l’assurance dont le plaignant est détenteur parce que ce dernier a paé des primes dans cette éventualité » (Sabean, para. 32). La juge Karakatsanis ne retient pas cette application de l’arrêt Gill aux faits en l’espèce. Selon elle, l’interprétation de l’avenant doit être distingué de l’interprétation d’un régime statutaire comme la Families’ Compensation Act, qui encadre le calcul de dommage-intérêts dans un contexte précis. Or, comme le souligne la juge Karakatsanis, il n’est pas question dans le dossier Sabean du calcul des dommages-intérêts, mais de la prestation à verser par un assureur pour acquitter un jugement pour des dommages-intérêts déjà établis par un tribunal : [20] Selon les termes du contrat, l’objet prépondérant de l’avenant est de fournir la protection « complémentaire » qui s’applique lorsqu’un automobiliste sous‑assuré ne peut payer la totalité du montant constaté par jugement. L’assureur indemnise les demandeurs admissibles de la somme manquante des dommages‑intérêts adjugés (clause 2). Le montant de dommages‑intérêts que l’appelant a le droit de recevoir a déjà été déterminé par la cour conformément aux principes juridiques pertinents — en l’espèce, les principes de responsabilité délictuelle. L’avenant prend ce montant — constaté par jugement — comme point de départ pour calculer le montant payable (clause 2). [Nous soulignons.] Même si l’arrêt Sabean favorise le droit des assurés à ce que leurs polices d’assurance soit interprétées selon le sens clair et usuel des mots qu’elles emploient, cet arrêt trace aussi une piste très claire pour les assureurs. L’arrêt Sabean ne contient pas de déclaration de principe sur le caractère déductible des prestations du RPC. Les prestations du RPC n’ont pas un caractère non-déductible qui leur serait inhérent. Tout simplement, les prestations du RPC ne sont pas déductibles dans le cadre de l’avenant SEF 44 car celui-ci n’en faisait pas mention expresse. Désormais, rien n’empêche un assureur d’énumérer les prestations du RPC en toutes lettres pour que celles-ci soient déduites de la prestation d’assurance complémentaire versables en vertu d’un avenant.
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